Je la surveille depuis plusieurs jours cette dépression qui va nous accueillir pour notre arrivée sur les côtes chiliennes. La route a été modifié et on a gagné dans le nord pour être au portant quand arrivera le plus fort du vent. C’est une tempête, le centre de la dépression va descendre à 946 HP. C’est très creux. Une dépression qui enveloppe tout le Pacifique sud, de l’Antarctique, aux côtes nord du Chili. Les prévisions pour l’arrivée donnent des vents de 40/45 nœuds de nord avec une mer de 6 mètres. Voilà le menu. Rien de bond qui détend l’atmosphère.
Tout a été amarré à bord. La check liste « mauvais temps » est en place. Planchers, placards, tout est verrouillé, rangé et bloqué. Sur le pont le zodiac est doublement amarré et les ris sont en place. La trinquette est roulé à moitié. Dans la nuit le vent s’installe, la mer se forme. Au petit matin on y est. Le vent oscille entre 35 et 40 nœuds. La mer a grossi et les vagues déferlent. Je m’agrippe, je surveille la houle et ses pics, là ou les vagues auront toute leur puissance. Je les vois arriver et venir se briser sur la coque. Le bateau est couché. A l’intérieur les derniers objets se mettent en place, glissent, se cognent. Ne pas se faire mal, ne pas être projeté à travers le bateau. La puissance d’une vague est gigantesque, ne pas sous-estimer les forces en présence. Anticiper, ne rien prendre à la légère dans la préparation. Fleur Australe a été conçu dans cet esprit, avec cette minutie du détail qui fera que lorsque arrivera le coup de vent, tout sera prêt.
A plusieurs reprises, le bateau s’emballe, part en survitesse et dérape sur la vague. Un départ au lof. Tout résiste, rien ne bouge. Il y a encore la possibilité de réduire la voilure avec le 3ème ris, mais il faut garder de la vitesse. Je suis aux aguets. Dehors le vent est stable, c’est le front chaud, vent du nord, plafond bas, crachin mêlé de pluie. On ne craint pas encore les grains violents qui arriveront avec le front froid. Le vent va encore gagner quelques nœuds supplémentaires à l’approche de la cote. La cordière des Andes va en effet compresser ce vent du large qui vient s’écraser sur ces montagnes.
Je surveille la mer. Nous arrivons sur le plateau continental. Les fonds passent de 4000 mètres à 100 mètres. C’est la zone la plus dangereuse, là où la houle va s’amplifier et déferler.
Je ne verrai pas les îles Évangélistas, que je laisse sur mon bâbord, la brume les enveloppe. Des ilots sentinelles de l’entrée du détroit de Magellan. Sous mon vent à tribord, le cap Pillar et les îles des Apôtres, pas encore visibles. Magellan, en 1520 a découvert et réussi le passage du détroit qui porte son nom. Plus d’un mois pour le franchir avec la perte d’un de ces bateaux et de l’équipage. C’est un labyrinthe avec des goulets étroits, de hautes montagnes, des vents catabatiques. Que s’attendait il à découvrir ? Un nouveau continent ? des îles paradisiaques ? Il réussi, après des efforts incroyables contre les vents et les courants, à trouver une porte de sortie. Le canal s’élargie, au loin l’eau libre. La chance est avec lui. La mer est calme, il nommera ce nouvelle océan Pacifique.
Mais sa déception est grande, pas d’île paradisiaque, pas cette Asie tant espérée, il nomme la dernière île, « Isla Desolacion ».
Des oiseaux annoncent la terre, cormoran, pétrel géant, prion. Ils sont les éclaireurs qui viennent à ma rencontre. Au loin, une masse sombre perce le gris du ciel, les premières îles apparaissent. Je découvre le cap Pillard qui sort de la brume. Dans son axe le souffle puissant d’une baleine. Peut-être une baleine bleue ? Elle suit la même route que nous. Elle aussi, va s’abriter de la tempête annoncée. Ce soir je pose l’ancre dans une petite crique, une caleta où se déverse une cascade, un torrent d’eau qui descend de la montagne. Le vent est calme. La nuit sera douce.
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