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Photo du rédacteurGéraldine Danon

Lituya Bay ou Baie des Français



En 1786, l’explorateur français Jean François Galaup, comte de La Pérouse, lors son voyage autour du monde, navigue le long des côtes de l’Alaska découverte quelques 40 années auparavant par Vitus Béring. Il aperçoit une enclave dans la chaine montagneuse au pied du mont « Beau Temps ». La baie lui semble un bon abri. Après une observation de la passe, il fait rentrer ses deux bateaux, l’Astrolabe et la Boussole. Il découvre au milieu de la baie, une île sur laquelle il établit un camp pour y faire des observations astronomiques et des réparations. Il décide de nommer cette baie « Baie aux Français ». Quelques jours plus tard, il envoie trois chaloupes pour sonder l’entrée de celle-ci et établir une carte plus précise. Il indique bien au commandant de chaque chaloupe de rester à l’écart de l’entrée s’ils aperçoivent des brisants mais le courant est très fort et deux chaloupes se font prendre dans le maelstrom et chavirent. La troisième parvient à force de rames à échapper aux déferlantes. Les survivants ne retrouveront aucun corps. A cette époque, vivaient là des indiens avec lesquels La Pérouse avait établi le contact notamment en ce qui concerne le commerce de quelques peaux de loutres, d’ours et d’autres animaux de la forêt.

Nous embouquons la passe de nuit. Il n’y a pas de houle, le vent est faible et nous sommes à l’étale de basse mer. Les conditions sont bonnes pour prendre ce dangereux passage. Le capitaine axe bien le bateau et tout se déroule parfaitement. Nous pénétrons dans la baie et mouillons près d’une île, en son milieu. Au lever du jour nous approchons du fond du fjord.


En juillet 1958, sous l’impulsion d’un tremblement de terre, le pan entier d’une montagne s’est détaché. Il est tombé dans le fjord créant un tsunami et une vague géante qui a escaladé la colline voisine jusqu’à une hauteur de 500 mètres. La vague a poursuivi sa course infernale jusqu’à la sortie de la baie. On perçoit encore distinctement les traces de son fatal passage, les sapins ont été rasés, on distingue une morbide bande marron dans le paysage verdoyant. Il y avait également des bateaux dans la baie dont un que l’on a retrouvé échoué sur l’île. D’autres ont fait naufrage. Des vagues géantes avaient déjà été observées en 1853, 1874 et 1936. D’après les instructions nautiques, cela pourrait se reproduire à n’importe quel moment…


Sur notre carte dont les relevés doivent dater d’avant 1958, le fjord a une profondeur de plus de 100 mètres. Aujourd’hui il est entièrement rempli de roches. Nous mouillons à l’accord et débarquons pour nous approcher du glacier.



Le temps est beau, le vent est calme. Des centaines de Goélands ont niché dans l’abrupte falaise, la mélopée qu’ils nous offrent pour notre départ nous ravit. Le capitaine sait que le vent souffle fort dans les hauteurs et en pleine mer. On aperçoit la neige soufflée par le vent au sommet des pics. Nous sommes à l’abri de la chaine de montagne qui fait écran.


En fin d’après-midi nous décidons de lever l’ancre pour rejoindre le prochain mouillage avant le Cap Spencer. Nous attendons l’étale de la marée haute pour embouquer la passe et longeons la cote avec ses grandes plages de sable gris. Derrière la dune, une barrière de sapins et des glaciers viennent lécher la mer.

Philou se méfie et prend déjà trois ris dans la grand-voile. Il distingue au loin une vapeur blanche au-dessus de l’eau. Ce ne peut être que du vent fort sortant d’une baie. En s’approchant on voit des crêtes qui blanchissent. Pas de doute, le vent souffle fort. Les ordres sont donnés pour tout arrimer à bord. Philou demande à ce que les enfants aillent se coucher dans leur bannette et qu’ils soient bien amarrés dans la toile anti roulis. Le vent forcit rapidement 40, 50, jusqu’à 66 nœuds à l’anémomètre. Malgré notre rapprochement de la cote, la mer se forme et brise avec des grosses lames écumeuses. Le bateau prend des coups de gite. Nous sommes sous grand-voile arrisée, sans voile d’avant avec le moteur en appui. Avant d’arriver à l’entrée du fjord, l’alarme du moteur sonne. La gite a désamorcé la pompe et le rotor est endommagé. Il faut agir vite. Philou fait une inspection rapide. Il sécurise le bateau et l’ éloigne des récifs. Il plonge dans sa cale moteur et répare la pompe. Le vent ne se calme pas et c’est en tirant des bords que nous pouvons mouiller dans des rafales à plus de 40 nœuds. Avec le vent qui vient des hauteurs et des glaciers, la température est descendue à -5° C et les embruns ont gelé sur le pont et sur les haubans. On a du mal à affaler la grand-voile, la drisse est dure comme du bois, et recouverte d’une gangue de glace, le pont est gelé et glissant. L’ancre est bien accrochée au fond et Philou dévide 100 mètres de chaine. Il reste à surveiller le mouillage avant de s’endormir.


Notre beau drapeau français a perdu une partie de son rouge, déchiqueté par les éléments en furie. Il ne nous reste plus qu’à attendre patiemment l’accalmie….Et à espérer qu’on nous accepte quelque part car ici la situation empire au quotidien.


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