Nous surfons sur la longue houle du large engendrée par les tempêtes hivernales qui partent du Japon ou du Kamchatka et viennent mourir dans le golfe d’Alaska, bloquées par les hautes montagnes.
Fleur Australe a déployé ses ailes profitant d’un bon vent d’ouest. Un grain se précise, et nous affalons le génois, bordons la grand-voile et déroulons la trinquette. Le ciel s’embrase et revêt ses belles couleurs flamboyantes. Le plongeon de l’astre roi dans l’océan Pacifique perdure un long moment car nous sommes par 60° de latitude Nord.
Nous rentrons dans le dédale des canaux entre les îles de la baie du Prince William. La mer s’apaise et nous laissons l’onde marine se briser sur les falaises. Enfin libéré, notre navire retrouve son calme intérieur. L’équipage a tenu le coup ballotté par la mer agitée. Les estomacs n’ont pas chaviré.
Il est trop tard pour rallier le village, nous mouillons dans une petite baie abritée.
7h00 - Nous levons l’ancre, le jour se lève, le soleil apparaît derrière les montagnes dans des harmonies de rose.
Au loin quelques maisons sous la neige, et un panache de fumée qui jaillit d’une cheminée. Il y a donc du monde et de la vie. Nous descendons à terre et escaladons le chemin enneigé et verglacé. Une petite église orthodoxe et son joli dôme bleu pâle se découvre à travers les sapins. Nous poussons la porte et pénétrons dans ce lieu de repos et de prière. Des icônes décorent les murs.
Nous allumons des cierges et prions pour le repos des marins.
Sur la route du village nous rencontrons une femme qui nous accueille avec un grand sourire. C’est une « Alutiiq native », peuple originaire de cette région. Aujourd’hui il y a une réunion à la maison commune. C’est un briefing sur les mesures à prendre en cas d’incendie. Il n’y a pas de pompier et chaque habitant doit pouvoir intervenir en cas de feu.
Ils ne sont que 35 âmes dans ce petit coin perdu de l’Alaska.
Il y a néanmoins une piste d’avion et un beau quai. L’avion passe 2 fois par semaine pour le courrier et les vivres que chacun doit commander à Anchorage, car il n’y a pas d’épicerie. Dommage pour nous mais nous avons de quoi tenir à bord.
Le bateau ne passe qu’une fois par mois.
L’hiver, la vie tourne au ralenti, on entretient les bateaux, on construit une nouvelle maison, on se prépare à la saison de pêche qui pendant plusieurs mois ne laissera pas le temps pour d’autres activités.
Les quelques habitants se précipitent, c’est si rare de voir âme qui vive par ici l’hiver, et une famille, alors ça relève du miracle ! Un des hommes nous montre ses deux doigts de la main amputés par un crabe trop gourmand, il nous recommande de pécher le Halibut (Flétan), les eaux par ici étant très poissonneuses. « You can use Bacon to catch them, they love it! (Vous pouvez utiliser du bacon pour les attraper, ils adorent !) » ajoute t-il.
De retour à bord, la neige à recouvert Fleur Australe, le vent souffle en rafales mais Marion, courageuse, brave la tempête et assure le diner du soir, trois halibuts et un rockfish. Laura se lance dans la préparation d’un moelleux au chocolat et Victoire sert de gouteuse à chaque étape. Il fait bon vivre dans notre cocon tandis que dehors les éléments se déchainent.
Dès le lendemain nous allons explorer l’autre baie, nous avons aperçu, un bâtiment qui ressemble à une usine de poisson. Nous mouillons au pied d’un wharf en bois, une belle construction est posée sur ces pieux plantés dans la berge. Dans la baie il y a des enclos à poissons.
Nous débarquons et rencontrons Anthony qui nous accueille avec une grande gentillesse. Il est le responsable de la « Hatcherie ». Ce n’est donc pas une conserverie comme nous l’avions supposé, mais une pisciculture de saumons. Au mois d’aout, ils prélèvent les œufs des saumons péchés dans la baie et les accompagnent jusqu’à éclosion. Durant plusieurs mois ils vont surveiller et nourrir ces jeunes alevins pour les transférer au mois de mars dans des enclos qui se trouvent dans la baie. Encore quelques semaines d’adaptation avant qu’ils soient libérés et partent pour plusieurs années, environ deux ans, dans l’océan Pacifique. Leur migration va les conduire jusqu’au Japon et en Russie.
Ils vont se nourrir, grandir et fait incroyable, revenir ici pour se reproduire, c’est à dire lâcher les œufs qui sont fécondés par les males. On va les capturer avant cette étape naturelle de la fécondation et procéder en laboratoire à ce cycle. « Oui, nous collectons donc les œufs des femelles et ils se mélangent avec le sperme des mâles. Ils ne deviennent fertilisés qu'après l'ajout d'eau, il peut s'agir d'eau douce ou d'eau salée. Une fois l'eau ajoutée, les œufs sont mélangés à la main puis on les laisse reposer 30 à 60 secondes. Au bout d’une minute, les œufs sont fécondés et rincés puis placés dans les incubateurs. » Nous raconte en Anglais Anthony, Laura et Marion posent plein de questions à notre hôte.
« Comment font-ils pour retrouver leur chemin ? demande Marion. »
« Eh bien c’est grâce à l’odeur de l’eau, à sa texture qu’ils vont retrouver leur baie de naissance. Leur explique encore Anthony. »
Incroyable ! s’exclame Laura.
« Mais alors qui gagne de l’argent dans ce processus ? questionne t-elle »
« Comme les saumons reviennent ici, ils sont pêchés par des pêcheurs locaux et revendus à la compagnie. Tout le monde profite de cet élevage, qui a un impact très faible en termes de pollution, car les saumons redeviennent sauvages après leur rejet à la mer. Ils ne sont nourris que pendant quelques mois. »
Au Chili ou en Norvège, le système est différent car les poissons sont élevés et gardés jusqu’à leur âge adulte, jamais relâché en pleine mer. L’impact des rejets est donc bien plus important.
« On peut dire que tous les saumons d’Alaska sont vraiment sauvages. » nous confirme Anthony, ça n’a rien à voir avec de l’élevage classique.
Le vent souffle fort. Les « Williwas » ballotent notre navire. Nous levons l’ancre pour trouver un abri pour la nuit. Antoine et Marion sortent les lignes mais les poissons sont frileux….
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