Le jour se lève sur notre somptueux mouillage. La tempête fait rage et les flocons de neige virevoltent et surfent sur la mer agitée. A bord la vie s’organise même si nous sommes chahutés d’un bord à l’autre, Marion fait des crêpes, nous faisons des jeux de société en attendant l’accalmie prévue pour le lendemain.
A l’aube, je scrute le paysage, le vent a un peu molli pendant la nuit mais la mer est encore forte. L’annexe est mise à l’eau, et nous partons explorer l’intérieur de la caldeira. Nous franchissons La barre entre deux déferlantes et accédons à un plan d’eau calme où s’ébattent des oiseaux, des cormorans pélagique, des guillemots, des pingouins. Sur le rivage, deux renards au pelage foncé. Ils creusent dans la neige à la recherche de quelques petits coquillages ou crustacés. Comment peuvent ils survivre dans cet endroit si austère ? Le printemps va leur permettre d’améliorer leur menu avec des poussins d’oiseaux qui nichent dans les terriers. Les autres ont posé leurs œufs sur les falaises à l’abri des prédateurs.
Le décor immaculé, d’une blancheur aveuglante malgré le mauvais temps est grandiose. Des pics de basalte, un îlot parfaitement sphérique et triangulaire posé au milieu de la caldeira composent ce paysage digne d’un bon James Bond. Nous débarquons sur une petite plage, du sol s ‘échappent des nuages de vapeur. La terre fume. L’île est volcanique et pas tout à fait endormie. Des fumerolles de souffre dégagent un gaz au goût âpre. Un peu plus loin un ruisseau d’eau chaude serpente jusqu’à la mer.
Laura sort de son sac d’exploratrice un thermomètre. Elle va sonder les différents bassins, d’où jaillissent de l’eau chaude. La température varie en fonction de la hauteur, 45°C, 50°C, 80°C et un record de 95°C. « Ça peut pas être plus chaud sinon ça s’évapore » explique Laura à sa sœur.
Nous prenons la pelle qui est restée dans l’annexe et commençons à creuser une baignoire dans le sol de la plage. Le petit ruisseau d’eau brûlante le remplit rapidement. Il faut réguler la température en y ajoutant de la neige pour obtenir une température de 45°C. Malgré le froid glacial, je ne peux résister à ce bain thermal dans ces eaux sulfureuses. Le paysage depuis ma piscine naturelle est magnifique et en prime nos deux renards peu farouches viennent nous rendre une visite de courtoisie. Je passe vingt bonnes minutes à alterner entre trempette dans l’eau brûlante et roulades dans la neige poudreuse tandis que les filles font un bonhomme de neige. Le ciel s’assombrit, les flocons reprennent leur danse infernale, il est temps de regagner le bord.
Nous reprenons la mer en milieu d’après-midi, les conditions sont nettement meilleures. Le ciel passe par tous les états, il s’empourpre puis devient gris, la mer épouse ses états d’âme avec sollicitude, elle s’allume, scintille, frétille et s’assombrit quand l’astre roi vient à s’assoupir. C’est le moment que choisissent quelques marsouins de Dalles pour venir nous saluer. Tout le monde est sur le pont pour admirer le spectacle, l’eau est d’une telle clarté qu’on les voit danser sous l’eau.
Au petit matin nous relâchons au port de Severo Kurile, Fleur Australe est recouverte d’une épaisse parure blanche, à peine réveillées les filles se lancent dans la confection d’un petit bonhomme de neige sur le pont. Un lion de mer de grosse taille promène son petit sur le dos, c’est un lion de Steller, le plus gros des lions de mer, il fait le tour de Fleur Australe. Un bateau de pêche passe devant nous, apercevant notre pavillon Français, les quelques hommes qui sont sortis sur le pont pour nous saluer s’exclament : « Amour, Bouffe ! » De bien jolies valeurs que celles qui sont attachées à notre drapeau. L’ami Depardieu y serait-il pour quelque chose ? Probable car les douaniers qui montent à bord nous parle toujours de lui. Je suis OK : « Amour. Bouffe » Ça me va ! Il n’empêche que nous ne sommes pas autorisés à débarquer pour des raisons qui nous échappent. Nous attendons donc au mouillage que les conditions soient bonnes pour filer vers notre prochaine escale : Petropablovsk.
Comments