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Incroyable Groenland

  • Photo du rédacteur: Géraldine Danon
    Géraldine Danon
  • 10 sept.
  • 8 min de lecture

Comment décrire ce passage dans un pays qui est en dehors de tout, en dehors du temps, en dehors des routes fréquentées.

En partant de Bretagne, nous avons en ligne de mire la côte Est du Groenland. Nous avions parcouru la côte Ouest par deux fois, en 2009 pour accéder au passage du Nord-Ouest, et en 2015 pour atteindre le sommet par 80°, là où la glace ferme l’accès au pôle. Cela nous avait déjà fortement marqués : la beauté des paysages, la puissance de la glace, surtout en accédant au dernier village du Grand Nord, Siorapaluk, là où vivent les derniers Inughuits, les Inuits du Grand Nord, les plus isolés, ceux qui vivent encore comme aux siècles passés. Quand vient l’hiver, que la glace se fige, que la mer devient dure et que la nuit polaire reprend ses droits, ils sont alors isolés du reste du monde. Nous l’avons parcouru en été et ne pouvons qu’imaginer la longue période de l’hiver.


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En juin, nous mettons le cap sur les îles Scilly et son lagon, l’Irlande et sa côte Ouest battue par les vents, l’Écosse et ses châteaux, les îles Féroé, paysages de toute beauté malgré l’odeur du sang qui coule dans les baies lors du massacre des dauphins, le « Grindadrap », au titre d’une coutume ancestrale ! L’Islande, ses volcans et ses sources chaudes. Nous étions encore en terre civilisée.


En quittant l’Islande et en empruntant le détroit du Danemark, qui la sépare du Groenland, on change de monde.

Premier iceberg à quelques milles des côtes islandaises.

Oh surprise ! Si tôt, ce n’était pas prévu.


De toutes mes navigations, c’est pour moi ce qui produit un réel changement : on rentre dans une autre dimension. Rencontrer les glaces flottantes… On ne peut m’enlever le frisson, l’émerveillement, l’admiration que cela me procure. Elles ne sont répertoriées sur aucune carte. C’est donc une découverte, une émotion quand apparaît le premier iceberg au radar ou en visuel, si le temps le permet. On s’en approche, on le découvre, on l’admire, on lui tourne autour, on l’embrasse, on se courbe. C’est aussi un soulagement : le premier mais pas le dernier. On sait qu’ils rôdent et nous serons aux aguets. À chaque fois c’est la même adrénaline qui parcourt mon corps. Je ne m’en lasse pas. J’en veux, et j’en veux plein d’autres.


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Avec notre petit voilier, on va le frôler, presque le toucher. Le capitaine s’amuse, estime le risque d’un chavirement, prêt à s’enfuir au moindre signe, au moindre bruit qui annonce une rupture, la chute d’un pan ou un retournement. L’excitation est à son maximum, captivé par cette chose magique. Nous continuons notre route et en rencontrons d’autres, pièces uniques, à la dérive dans ce courant qui descend du Grand Nord, le long des côtes groenlandaises.


Le courant vient du pôle Nord, là-haut par 80°. Les icebergs se sont détachés de la calotte glacière, emportés par le courant. Ils ont déjà plusieurs années d’errance dans ces eaux glacées. Il leur a fallu trouver un chemin pour sortir du fjord et accéder à la pleine mer. Le voilà parti pour un long voyage. Il a une âme, son cœur est vieux de plusieurs milliers d’années. Un petit flocon s’est posé tout là-haut sur l’inlandsis, s’est accumulé avec ses compères et a été transporté lentement vers la mer. Qui connaît son âge ? On suppute, on lance des paris. Mais il est bien là, majestueux. Il va vivre encore quelques mois, peut-être une année ou deux, mais son destin est figé, programmé. Laminé par la mer, il va se disloquer, fondre sous le soleil. Son chemin est encore long, à errer, à voguer vers l’inconnu. Nous avons le plus grand respect pour cette œuvre condamnée à disparaître. Elle n’est pas à acheter, elle n’est pas à vendre, on ne pourra pas spéculer, elle ne finira pas dans un musée ni dans une collection d’art. Elle est à tout le monde ou plutôt à quelques privilégiés, le temps d’un instant, d’un moment qui m’emplit d’une extrême joie que j’aime partager et que je partage avec mes proches, ici au milieu de nulle part. Bravo l’objet, bravo l’artiste et merci de nous offrir ce spectacle. Nous sommes reconnaissants à la nature de nous offrir ce si beau cadeau.


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Il faut avancer, rejoindre la côte, trouver un petit creux dans cette côte sauvage, mal ou pas cartographiée. Nous sommes des découvreurs, comme l’ont été Jules Poret de Blosseville, Jean-Baptiste Charcot et d’autres avant nous sur cette côte. Mais le plaisir de ne pas avoir de chemin balisé, pas de carte, est ce qui me plaît. Je l’avoue, ça m’excite. J’aime vibrer, aller vers l’inconnu, ne pas savoir où on va poser l’ancre. Pas de guide, pas d’information, rien : la découverte, l’exploration, comme nos prédécesseurs, les Cook, Bougainville, Magellan, Christophe Colomb. C’est une chose rare aujourd’hui. En tout cas, cela reste exceptionnel et passionnant.


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Nous avançons dans la brume, nous sommes à vingt milles des côtes. Les icebergs se font plus nombreux, il faut slalomer. Concentration et vigilance à la passerelle. Au-dessus de la brume nous apercevons les sommets de la chaîne de montagnes qui borde la côte. Nous avançons. Un fjord s’ouvre devant nous, nous nous y engageons, un œil sur le sondeur, seule indication qui peut nous prévenir d’un haut-fond, d’un récif, d’une moraine. Le décor se dessine, les ombres se clarifient, on distingue les détails, les formes. On pénètre, encerclé par de hautes falaises abruptes : 1 500 mètres qui descendent dans une eau noire où la glace est de plus en plus présente, petits glaçons, growlers, bergy bits. Les Esquimaux ont cent mots pour définir la glace, nous n’en avons que quelques-uns. Le capitaine imagine la topographie des lieux et, en fonction de la position des glaciers, des pentes de la montagne, essaie de trouver une moraine où l’on pourra jeter l’ancre en sécurité. Le temps est calme, mais on sait que d’un moment à l’autre, tout peut changer : le vent peut dévaler la pente du glacier. Il faut sécuriser le mouillage pour un repos tranquille. Nous mouillons l’ancre sur la pente d’une moraine par 20 mètres de fond, une amarre est posée à terre. Le glacier n’est qu’à une courte distance, mais une pointe rocheuse nous protège de la glace dérivante. Beaucoup de paramètres à prendre en compte. L’équipage a une certaine expérience pour avoir affronté les glaces de l’Antarctique.


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Une bonne nuit, en écoutant craquer le glacier. Le jour se lève sur un jardin où les statues de glace se promènent dans un ballet à la lenteur imperceptible, au gré du courant. On chausse nos chaussures de randonnée et partons à la conquête de la mer de glace. Les pieds s’enfoncent dans des mares de boue, on escalade les murs de la moraine, ces cailloux arrachés aux flancs des montagnes, on prend de la hauteur pour admirer le monstre de glace.

Retour au bateau, un gigot de mouton cuit dans le four. L’équipage reprend des forces après cette traversée qui nous a demandé une attention soutenue. Nous continuons notre découverte du fjord. Nous longeons le bord du glacier, slalomons entre les géants, la mer est calme, pas de houle, pas de ressac. Chacun est posé sur cette eau lisse qui a pris une coloration d’un vert pastel. Déposées au hasard d’une œuvre collective : ici une colonne qui pointe vers le ciel, là une arche, plus loin une piscine où l’on se verrait bien se baigner… peut-être pas ! L’eau est à 2 °C.

Le fond du fjord est rempli de glace : encore les restes de la banquise hivernale. Elle n’a pu s’échapper, enserrée entre les parois des hautes montagnes. Nous trouvons un autre mouillage à l’entrée d’un bassin où l’on doit pouvoir mouiller en sécurité. Philou part en repérage avec sa ligne de sonde. Il faut dresser une carte, repérer les possibilités de s’abriter, au cas où le vent viendrait à se lever.


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Aux premières lueurs du jour, on reprend la mer. La houle nous accueille et une barrière de glace nous barre la route : la porte est fermée. Nous repartons vers le large, trop d’icebergs et de petites glaces. Plusieurs heures à contourner ce mur, trop dangereux de s’y faufiler, de vouloir le traverser : trop de houle. Nous repartons à la côte. Sur la carte, une échancrure. Allons voir. Houpps ! C’est un cirque, un refuge à icebergs. Au fond, un glacier descend entre les flancs de la montagne. L’endroit n’est pas très grand. Il pourrait ressembler à une baie d’une île des Marquises. Mouillage pour un seul bateau. Il n’y a pas de cocotiers, pas de pirogue, pas de fumée ni de hutte. Seulement la glace. Le capitaine s’écrie qu’il n’a jamais vu pareil endroit. La force qui s’en dégage est tout simplement incroyable. Les sommets sont cachés dans la brume, on découvre ses pentes, ses cascades de glace. Nous posons l’ancre, mais ce n’est pas de tout repos. Les glaçons dérivent sur nous, viennent écraser le zodiac contre notre flanc. On relève l’ancre pour la reposer à quelques mètres et laisser la place aux maîtres des lieux. Nous ne sommes que de passage, acceptés parmi la colonie des monstres blancs. La baie n’a pas de nom, nous la nommons « Baie Fleur Australe ». Elle est belle, forte comme notre bateau. Elle nous plaît beaucoup. Il faut quitter ce havre d’une paix toute relative !


En route pour un mouillage plus calme. Nous en trouvons un : une baie où un seuil empêche les icebergs de rentrer. La brume nous enveloppe dans son cocon. La nuit est calme, pas de danger à l’horizon.

Notre parcours le long de cette côte sera ainsi jalonné de ces paysages grandioses, mêlant fjords, glaciers et glaces flottantes. Le temps calme nous permet de profiter pleinement du décor. Plus de brume que de soleil, c’est le prix de cette escapade polaire.


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Nous arrivons en zone habitée : Sermiligaaq, 200 habitants. Les petits bateaux de pêche y viennent déposer leur prise du jour, quelques poissons. Les enfants sont sur le quai, accueillants, prêts à prendre les amarres. Pas de voiture. Les traîneaux sont rangés près des maisons. Ils attendent le retour de l’hiver et de la mer gelée. Les chiens, eux aussi, sont impatients de retrouver leur attelage. Une peau d’ours sèche au soleil à côté du linge de maison.


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Nous n’avons qu’effleuré la vie de ces communautés. Lors de la saison estivale, avec la création d’un aéroport à Kulusuk, le tourisme se développe gentiment, ce qui profite à la population locale. Ce n’est pas encore les Caraïbes. Ici, on se déplace en bateau, les distances sont grandes entre les six villages qui composent la communauté de la région d’Ammassalik. Le plus isolé est Isortoq, cinquante habitants. À terre, la moitié des maisons sont abandonnées. Les jeunes semblent vouloir accéder à une vie plus moderne. Ils se dirigent vers Tasiilaq ou Nuuk, la capitale. Mais vont-ils trouver leur équilibre ? Ici on vit comme depuis des siècles, de la pêche et de la chasse. L’accès aux moyens modernes, comme Internet, brouille peut-être les cartes et fait miroiter des chimères. Ce petit village est-il amené à disparaître ? Fort probable. Je souhaite que non. L’accueil est chaleureux. Les enfants n’ont pas de barrière et viennent vers nous le plus simplement du monde.



Un voilier de passage, c’est très rare. En quelques instants, ils ont envahi le bateau, l’observant dans le moindre détail. Une navette spatiale vient d’atterrir dans leur jardin, ils en profitent. Ils sont beaux, souriants. Fleur Australe a trouvé une famille d’accueil. Je rêverais d’y revenir et de partager un peu plus, les voir au quotidien, passer un hiver, me déplacer sur la banquise avec les chiens. Ils doivent en savoir des choses sur la nature, sur la glace, les animaux, les ours polaires, les étoiles, les aurores boréales. Je comprends Paul-Émile Victor, qui est venu ici partager la vie d’une famille inuit pendant 14 mois, en 1936.


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Nous quittons ces lieux magiques, loin de tout. Il nous faut reprendre la mer, et un groupe de baleines à bosse nous accompagne. Leur souffle et leur nageoire caudale qui s’enfonce dans l’océan sont un signe d’espoir.


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