Nous hissons les voiles pour Yakutat, le seul abri, dans le coin, le seul petit port et la seule communauté sur une côte sauvage qui va de Cordova au cap Spencer, à l’entrée des canaux qui amènent à Juneau. 600 km (340 milles) d’un décor ou les monts enneigés culminent à plus de 5000 mètres. A la cote, des dizaines de rivières viennent se jeter dans l’océan. De longues plages et des dunes de sable gris, avec leurs sculptures déposées par une main mystérieuse, au hasard de la grande houle du Pacifique. Le fond du décor est composé d’une chaine de montagne à perte de vue, englobant des vallées et des glaciers par centaines. Les plaines sont tapissées de pins, une note de couleur dans cette palette de blanc, de gris et d’émeraude, couleur de la mer.
Yakutat, 700 habitants, port de pêche avec sa conserverie posée sur pilotis en troncs d’arbres. Yakutat est une ville morte, ou endormie, car la mesure de confinement se fait dans une relative décontraction. L’aéroport est l’unique lien avec l’extérieur représentant une possible contamination. Un avis a été instauré dans l’état de l’Alaska et une centaine de cas ont été répertoriés à Anchorage, Fairbanks et Juneau.
Nous faisons rapidement le plein d’eau et de nourriture au supermarché tant qu’ils sont encore ouverts. On nous donne un masque et des gants.
Un bateau de pêche arrive pour débarquer le fruit de sa récolte océane. Les cales semblent remplies, car la ligne de flottaison disparaît sous les flots.
« Il est beau ce bateau », me glisse mon marin à l’oreille. C’est vrai que son étrave verticale et acérée a fière allure comme sa timonerie de paquebot.
Philou en profite pour aller les saluer, et le patron de pêche lui demande de revenir dans une heure, le temps de prélever dans ses cales quelques poissons pour nous. Je retourne avec lui filmer cette scène. Nous partageons désormais l’annexe avec cinq beaux « Red Snapper », une pêche rapide et efficace qui remet du baume au cœur en ces temps contrariés. Un peu de troc, nous leur offrons deux bouteilles de notre meilleur vin.
Le « Grant », bateau de pêche en bois, date de 1926, 94 ans mais il ressemble à une jeune fille, le capitaine a su entretenir sa jeunesse grâce à des soins méticuleux.
Nous reprenons la mer au petit matin. Cap sur Lituya Bay.
Une dépression se forme sur le golfe de l’Alaska. Il faut gagner rapidement vers l’Est , avant que ne forcisse le vent. Nous prenons quelques rafales à plus de 30 nœuds dans l’axe des vallées, et puis tout s’écroule. Il faut prendre un ris, rouler le génois, dérouler la trinquette et tout recommencer. Philou passe son temps à régler les voiles, un vrai régatier même en Alaska ! Une baleine souffle son air, loin devant. Pas d’autre indication sur la dame. Elle est furtive et semble faire route avec nous. Bien discrète, nous apercevons une forme aux teintes mélangées de noir et de blanc. Pas d’aileron, pas de nageoire caudale, impossible de la définir.
Le soleil a du mal à percer les nuages mais vers la chaine de montagne, on aperçoit un sommet, le Mont Salisbury, 4661 mètres. Encore un colosse de roc et de glace. Il détermine la frontière avec le Canada. Plus question de passer les frontières aujourd’hui ! Ce n’est que le début de par ici …..
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