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  • Photo du rédacteurGéraldine Danon

Maupiti

Y a-t-il un bout du monde pour les marins de légende ? Ils ont parcouru tous les océans, fait des tours et des tours autour de notre belle planète et c’est en Polynésie que je retrouve la plupart de nos grands marins, Olivier de Kersauson, Titouan Lamazou et tant d’autres ont jeté l’ancre sur les îles enchantées et leurs lagons translucides.



Nous avons rendez-vous aujourd’hui sur un motu de Bora Bora avec Joan de Kat. Nous l’avions rencontré il y a dix ans à Ranguiroa dans les Tuamotus. Il s’y était installé, au milieu de nulle part, ses deux petits voiliers lui servaient d’habitation, à terre il s’était improvisé une chambre suspendue entre deux cocotiers et un espace pour faire son yoga avec vue sur l’océan. Joan de Kat s’est lancé dans la voile comme un guitariste décide de gratter les cordes. Les cordes étaient des écoutes, et de courses en courses il s’est engagé dans la transat en solitaire anglaise, l’Ostar, sur un prao de 22 mètres, mais il a fait naufrage et il a enchainé avec la fameuse course du Figaro qui s’appelait à l’époque l’Aurore.



Malin et bon marin il décroche le sésame et remporte la première édition de cette mythique course avant de partir autour du monde avec des bateaux qu’il construit de ses mains, la Miséricorde, le Monk, et d’autres qu’il achète, revend puis rachète, un bateau plus petit à chaque fois, mais plus solide. L’homme, héritier d’un père artiste revend une toile tous les dix ans et vit ainsi sa vie de rêve sous les cocotiers de Bora Bora, des Tuamotu ou des Marquises, squattant un motu, y construisant un faré dans les arbres. Il se balade sur la grève, le platier de l’atoll, il récupère des bois échoués venus du Pérou ou de l’Équateur. Il y sculpte des Tiki, peint des toiles, au gré du vent. Marin, artiste, robinson, gentleman, et en pleine forme, il vient de fêter ses 80 ans et ses yeux sont toujours aussi rieurs. Il nous guide dans son royaume sous l’œil ébahi de mes moussaillons.

Merci Joan. Merci pour ta joie de vivre, pour ton parcours atypique, heureux comme un oiseau du large et homme libre.


Après cette belle rencontre la Fleur reprend sa route vers la plus forte des iles de la Société, Maupiti. Pour y accéder, il faut obtenir la clef ou le code secret de la passe réputée la plus dangereuse de toute la Polynésie. Elle est ouverte au sud, étroite, et son courant sortant vient rencontrer la grande houle de l’hémisphère Sud.

Il nous a fallu attendre que cette belle onde de plus de 4 mètres, se calme. Ce matin elle a baissé, mais elle est encore là, la grosse houle nous chahute. De chaque côté de ce trou de souris, les vagues déferlent majestueusement. La lame d’un bleu profond roule emportant avec elle le panache d’une belle crête blanche. Le décor est superbe mais il reste effrayant.

Le capitaine a préparé le bateau au pire. Sur le pont tout est saisi. Les hublots sont fermés et l’équipage est prévenu que le bateau peut se faire rouler à l’entrée. Le risque étant le chavirage. Le courant qui atteint plus de 4 nœuds rencontre la grosse houle et fait déferler les monstres liquides.

Philou est concentré. Il a étudié depuis plusieurs jours l’évolution de la météo et surtout la fréquence et la hauteur de la houle. Pas d’improvisation. Le risque de finir sur les récifs est bien réel.

Loup surveille par l’arrière si un monstre ne s’apprête pas à nous engloutir. Je me cramponne d’une main et de l’autre, avec ma caméra, j’essaye de capter ce décor fantastique de beauté et de force. De chaque côté de notre navire, les éléments se déchainent, la mer déferle. La Fleur louvoie luttant contre les tourbillons du courant. Chaque mètre est important, il faut gagner du terrain vers le lagon et ses eaux calmes.



Maupiti et son lagon magnifique où vivent une vingtaine de raie Manta. Elles sont sédentaires car elles trouvent ici assez de nourriture, zooplancton et phytoplancton. Il y’a une station de nettoyage où de petits poissons Lab viennent les débarrasser de leurs parasites et des algues, elles s’y rendent pour se faire belles mais aussi pour discuter, c’est en quelque sorte leurs troquets, elles viennent y boire le café et échanger, exclusivement le matin. Le peu de profondeur du lagon, entre 5 et 10 mètres permet de les observer, ce qui en fait un lieu unique au monde. Elles planent au-dessus de nous comme des nuages sombres puis disparaissent, majestueuses silhouettes obscures dans le bleu du lagon. Une fois par an, elles s’échappent par la seule passe, et vont se promener en plein océan pour quelques semaines. On ne sait pas précisément comment elles donnent la vie à une jeune raie grosse comme un ballon de basket qui se colle sur le dos de sa maman. On pense que lorsqu’elles sautent hors de l’eau c’est une façon d’éjecter le nourrisson. Elles ont peu de prédateur, les orques et les requins, mais dans le lagon elles sont à l’abri de ces intrus.


Maupiti vit au rythme tranquille de la pêche et de la cueillette des fruits. On y cultive le tiaré qui est exporté vers Tahiti et vers le monde entier. Son parfum est réputé pour être le plus odorant, le plus suave et le plus subtil. Le lagon de Maupiti est un joyau, comme tout trésor il est bien protégé par la rudesse de sa passe, c’est bien légitime qu’il abrite la plus enivrante des fleurs.



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