Nous sommes rentrés avant la nuit dans ce petit mouillage. Une passe entre deux ilots et un bassin pas très grand qui nous oblige à poser une amarre à terre.
La Fleur est entourée de rochers où viennent se reposer des manchots et des cormorans. C’est la fin de la belle saison pour tous ces habitants du bout du monde. Les manchots changent de plumage et s’habillent d’une robe immaculée. Ils vont quitter les lieux pour aller en pleine mer et trouver nourriture et énergie avant de revenir au printemps prochain. Les cormorans font des aller et retour vers la mer pour pêcher quelques poissons. Au large, les baleines croisent et font le plein de krill. Avant que le soleil ne fonde dans l’océan glacé, je pars avec mes petites filles faire une ballade à terre.
Nous escaladons les rochers de granit, traversons les plaques de neige où l’on s’enfonce jusqu’à la taille. En prenant de l’altitude, nous pouvons contempler ce décor magnifique. En bas, notre bateau ceinturé de rochers et au large sur la mer argentée, des icebergs d’un blanc magnifique se promènent lentement. Il faut les observer des heures pour s’apercevoir qu’ils avancent, poussés par la petite brise ou emportés par le courant de marée. Mais pour notre œil, tout est figé.
Sur les hauteurs nous sommes accueillis par les skuas. Redoutable oiseau de proie, le skua est un prédateur qui se nourrit suivant la saison, d’un œuf laissé sans surveillance, d’un jeune manchot un peu faible, ou d’une carcasse de phoque venue s’échouer sur le rivage. Il est le dernier à nicher et il a encore sous sa surveillance un jeune poussin avec des duvets qui laissent apparaitre les nouvelles plumes.
Il nous voit venir et plonge littéralement sur nous dessus en nous frôlant la tête. Il revient plusieurs fois pour indiquer la présence de son petit. Nous doublons de vigilance et apercevons protégée entre deux rochers, la boule de duvet. Nous le laissons tranquille, car un autre skua pourrait s’en emparer. C’est la dure loi de la nature.
Nous avons passé une nuit tranquille, un repos bien mérité. Le temps est beau, une belle plage météo avec peu de vent. Nous décidons de retenter notre ascension vers Terra Firma. Nous sommes comme des alpinistes qui tentent d’escalader un sommet. Plusieurs tentatives sont parfois nécessaires. Il faut revenir au camp de base et attendre la bonne période, le bon créneau. Nous larguons l’amarre à terre et relevons l’ancre. Sur la route nous remarquons que la glace est plus présente, des petits glaçons. Peut-être est-ce le signe d’une débâcle vers notre ile ?
Nous approchons de notre limite de la veille, ça avance encore mais devant nous un trait blanc se dessine à l’horizon. Nous avons gagné plus d’un mille, mais nous n’irons pas plus loin cette fois. Je monte au nid de pie, j’aperçois quelques chenaux encore libre, mais mon œil décèle un horizon totalement bouché et une ile encerclée de glace. Terra Firma est belle, sa roche est noire, son sommet acéré de plus de trois cent mètres de haut avec des pentes neigeuses et des glaciers. Elle se refuse à nous mais nous l’acceptons. C’est l’Antarctique et nous savons que rien n’est jamais gagné. Nous le prenons même comme un signe.
Il faut savoir accepter la force de la nature. Nous sommes fiers que ce soit elle qui gagne ce combat que nous avons mené pour atteindre notre graal. Nous nous inclinons devant dame nature, respect Madame ! Sachez encore vous préserver, vous n’en êtes que plus belle !
Nous restons là un long moment, silencieux, à contempler ce décor magnifique. L’ile inaccessible devant nous, entourée par cette banquise impénétrable. Nous sommes cernés d’icebergs, également emprisonnés. Ils peuvent survivre ici mais pas nous. Cette banquise est l’endroit préféré des phoques. Des groupes de phoques crabier se reposent sur une floes.
Devant nous c’est un léopard qui surgit des profondeurs et vient nous tenir ce langage… « Coucou les amis. Attention à votre petit bateau. La glace peut vous broyer et vous sombrerez dans les abymes glacés. Ici c’est notre univers. Nous acceptons votre présence mais sachez respecter cette nature, sachez faire demi-tour à présent ». Nous entendons le message et la Fleur met le cap au nord. Laura me glisse tendrement : « Maman, jamais deux sans trois, nous reviendrons, et peut être que nous pourrons cueillir la fleur australe ». Nous tournons donc le dos à notre petite fleur, celle dont nous avions fait le symbole de la paix qui règne en Antarctique, ce continent qui n’appartient à personne puisque depuis 1991, le traité de Madrid en a fait un espace dédié à la science et à la protection de l’environnement, seules des activités pacifiques y sont autorisées, (interdiction de militariser, d’essai nucléaire, d’extraction minière) .
Nous n’avons aucun lien avec la terre depuis plusieurs semaines, nous n’avons pas d’internet à bord mais l’iridium nous permet de recevoir les mails urgents et nous avons appris ce qui se passe en Ukraine, plus que jamais le symbole de ce continent blanc est d’actualité. La paix qui règne ici est indéniable et lorsque nous remonterons vers le Nord, nous passerons par la base Ukrainienne, même si il nous sera sans doute impossible de débarquer à cause du virus, ce sera notre petit acte de solidarité dans ce monde devenu fou.
Yorumlar